Ceux d’en haut et ceux d’en bas

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Progressivement, un fossé se creuse entre les deux sociétés qui composent La Turbie, aux assises sociologiques opposées et aux intérêts divergents.

“ Ceux d’en haut “ représentent une communauté essentiellement rurale, profondément enracinée dans ses traditions ancestrales et peu préparée au processus économique et social qui se met en place sous l’impulsion de la Principauté.

Monte Carlo – Hotel Riviera Palace ENTRE LUXE ET MISERE Deux mondes se côtoient, quasi imbriqués : le luxe et la misère. Ainsi le splendide escalier du Riviera Palace, qui relie cet hôtel luxueux de renommée internationale au coeur de la cité, passe au milieu du bidonville du Carnier.

“ Ceux d’en bas “ constituent une société cosmopolite, hétérogène, surtout urbaine dont les besoins en infrastructures sont énormes.

DES INTÉRÊTS INCONCILIABLES

Le 4 novembre 1894 les habitants de la Basse-Turbie adressent une pétition aux élus pour l’érection d’une église au Carnier.

La demande provoque la réprobation unanime des conseillers turbiasques, majoritaires au sein du conseil municipal. Cette imposante majorité, qui bloque toute décision favorable, est mal vécue par “ ceux d’en bas “ qui ne parviennent pas, ou peu, à être représentés au sein du Conseil. Le 23 novembre 1894, les habitants des bas quartiers adressent au Préfet une nouvelle pétition tendant à ce que les quartiers suburbains soient érigés en commune autonome. Mais les efforts pour obtenir le découpage de la commune en deux –une partie supérieure et l’autre comprenant tous les quartiers dits “ inférieurs ” (le Carnier, le Cap d’Ail) – restent vains et la proposition est définitivement rejetée par l’assemblée départementale.

L’aspect budgétaire apparaît prépondérant, le budget communal turbiasque ne pouvant supporter les frais d’équipement du Carnier.

Ainsi l’aménagement du Carnier est laissé à l’initiative de particuliers, dont seuls les plus nantis, propriétaires en limite de la Principauté, obtiennent l’autorisation d’aménager des voies, parfois ouvertes à la circulation publique et de mettre en place des collecteurs, mais à leurs frais.

Ce phénomène provoquera une “urbanisation “ au coup par coup “ dont l’architecte Paul Lajoie soulignera, en son temps, le manque de cohérence.

Alors que quatre mille individus vivent déjà dans les quartiers de la Basse Turbie avec un accroissement de quatre cents individus par an, arrivent, en 1900, les élections qui désignent pour prendre en mains les destinées de la commune, Camille Blanc…

Il va se révéler l’homme de la situation.

LA VIE AU TONKIN ENTRE MISÈRE ET SOLIDARITÉ

Durant la saison d’hiver, propice au tourisme, beaucoup de chantiers de construction sont arrêtés. Malgré les difficiles conditions de vie et ces périodes de chômage, la vie au Tonkin génère aussi convivialité et solidarité dans les actes de la vie quotidienne.

La communauté piémontaise a amené ses traditions culturelles : chansons, jeux tels la morra ou encore la scopa, ses distractions, cirque et accordéonistes.

Les débits de boissons s’ouvrent et s’emplissent, de nombreuses fêtes sont organisées.Les bars constituent le centre d’un réseau de sociabilités. Les plus célèbres dont le “ Bar Madelon “ et “ Chez Maria Calendria “, accueillent les ouvriers en semaine et surtout le samedi soir et le dimanche après-midi pour les bals. La prostitution et les rixes à répétition forment une autre facette de ces lieux animés.

Ainsi, tout en gardant leurs attaches en Italie, les ouvriers piémontais et ligures s’identifient pleinement à la communauté du Tonkin, non pas en ghetto mais comme un véritable village, qui ne s’intègrera que progressivement (dans les années trente) au tissu urbain.

On est du “ Tonkin “ avant tout : il n’est donc pas rare de voir des bagarres éclatées entre ceux des Moneghetti et ceux du Tonkin.

L’architecte Paul Lajoie – unificateur officiel du premier plan régulateur de Beausoleil, auteur du premier projet d’extension de la commune, également architecte du sanctuaire Saint-Joseph et du monument aux morts du cimetière – écrit le 6 juillet 1916 :

“Quelques propriétaires non prévenus ont procédé à des spéculations de terrains, comme ils auraient procédé à toutes autres spéculations, c’est-à-dire un simple placement d’argent ; acheter, vendre, acheter, revendre(…) Tout a été planté suivant la fantaisie égoïste et particulière, au hasard

des intérêts de chacun…”

“Cette ville est l’enfant qu’on n’attendait pas et qui a poussé mal et très vite”.